POSTEL-VINAY O., Sapiens et le climat. Une histoire bien chahutée.


 POSTEL-VINAY O., Sapiens et le climat. Une histoire bien chahutée, La Cité, 2022.

Voici un ouvrage qu’on ne s’attend pas à trouver dans notre florilège. De fait, il ne s’agit pas au premier abord de théologie, mais plutôt d’histoire et de climatologie – voire d’écologie. Cependant, comme un train peut en cacher un autre, certains partis-pris et certaines leçons de l’auteur méritent d’être ici discutés et retenus.
Écrit de manière plaisante, souvent drôle, ce livre se lit rapidement, comme pour se détendre. On y rit parfois de bon cœur, même quand l’auteur, quelque peu scientiste et anticlérical bon teint (ancien rédacteur en chef du magazine scientifique La Recherche), égratigne légèrement la sainte religion catholique et ses représentants. Mais ce n’est évidemment pas le propos de l’ouvrage, qui a une autre ambition.
Il s’agit, en premier lieu, de mettre ici à portée du commun une synthèse des avancées en matière d’archéologie ou d’histoire du climat, et de constater l’effet de ses variations sur le devenir des sociétés humaines – parfois les civilisations. En second lieu, d’observer que la terre est l’objet (sinon le jouet) de plusieurs cycles climatiques, liés entre autres aux cycles célestes. Si le climat terrestre est en même temps parfaitement irrégulier et imprévisible à certaines périodes de transition, il suit néanmoins des cycles de glaciation/réchauffement de plus ou moins longue portée, imbriqués les uns dans les autres.
 
On en conclut plusieurs choses. (1). La première – et non des moindres à l’heure actuelle – est que l’activité humaine n’a manifestement aucune ou si peu d’influence sur des cycles qui la dépassent infiniment. L’activité sismique, les éruptions volcaniques, ont tout autant sinon bien plus d’impact, sans parler des cycles solaires. (2). La seconde, en revanche, est la démonstration faite que des sociétés humaines, équilibrées économiquement et socialement à certaines époques, peuvent être totalement déstabilisées en quelques dizaines ou centaines d’années, et vouées à la disparition. Les pouvoirs et les sociétaires semblent parfaitement incapables de comprendre et de gérer cette déstabilisation qui, plus ou moins insensiblement, les emporte. Et l’on se prend à s’interroger sur la résilience de notre présente société plus que sur la possibilité pour elle de faire évoluer le climat… Il ne s’agirait pas tant de pouvoir agir sur un changement climatique que de s’y adapter. Évidemment, cela est hors de portée de l’individu, au mieux des pouvoirs publics, car il s’agit surtout d’organisation économique et en partie de gestion de flux migratoires. (3). La troisième conclusion qui ressort de cette lecture est que – contrairement à ce qui nous est perfusé médiatiquement, notre époque serait plutôt confrontée à un refroidissement qu’à un réchauffement. C’est en tout cas ce qui ressort de l’observation des phénomènes cycliques. Mais comme les transitions se caractérisent par des variations parfois spectaculaires, et diversement réparties sur la planète, l’incertitude peut être exploitée dans les deux sens. Et rien ne s’oppose à ce qu’une activité humaine significative aggrave ou précipite ces variations (p. 322-324). Pour autant, il semble – puisque c’est au fond la thèse de l’ouvrage que le climat a plus d’influence sur Sapiens que l’inverse – que l’effet cyclique demeure le plus puissant – à Dieu ne plaise !
 
Pour revenir au second point, et à s’intéresser plus précisément à l’impact qu’aura pu avoir le climat sur l’histoire de la Franche-Comté, on notera quelques passages éclairant, ainsi :
« De -100 à 200, le climat méditerranéen a été d’une exceptionnelle stabilité. Chaud et bien arrosé. La période 21-50 a représenté les trente années les plus chaudes de notre ère jusqu’aux années 2000. Au IIe siècle, les glaciers alpins étaient aussi courts qu’aujourd’hui. En Angleterre, la remontée de la punaise de l’ortie vers le nord, témoignait de températures de juillet d’au moins 2°C supérieures à celles du milieu du XXe siècle. Il pleuvait plus en Égypte que de nos jours, les crues du Nil étaient abondantes et le blé égyptien permettait aux empereurs de constituer d’énormes réserves » (p. 168-169). Nous comprenons ainsi plus aisément comment l’Empereur Claude a pu décider d’ouvrir une voie militaire passant par le col du Grand-Saint-Bernard pour faciliter la conquête de l’Angleterre.
« Le IVe siècle se traduit par un retour relatif de l’optimum, qui coïncide avec le redressement de l’Empire. Le climat se réchauffe nettement, surtout dans la deuxième moitié du siècle. La punaise de l’ortie remonte très haut en Grande-Bretagne ! » (p. 171) ; « Mais la situation s’est complètement inversée au siècle suivant, marqué par le début de ce que les Anglo-Saxons appellent le LALIA, en bon français le Petit Âge glaciaire de l’Antiquité tardive. […] Le LALIA va durer jusque vers 660 » (p. 172). Les VIII, IX et Xe siècles correspondent à une période plus clémente (expansion des Vikings, conquête de l’Islande, du Groenland, de Terre-Neuve… p. 192-199), quoique parfois très instable (p. 208), avant de retrouver, vers 1300 le Petit Âge Glaciaire et la Peste Noire (p. 237-241) : « Pendant deux siècles au moins, jusqu’au début des années 1300, quand Giotto est au sommet de son art, il fait en moyenne aussi chaud qu’aujourd’hui. Dans certaines zones, peut-être plus chaud. Comme durant l’optimum romain, la punaise de l’ortie remonte jusqu’à York, en Angleterre du Nord » (p. 206) ; « Ayant foré dans le lac de joux, dans le Haut-Jura, des chercheurs français constatent une moyenne d’étés chauds et secs entre 1100 et 1320 environ. Plus chauds de 1°C à 2°C que la période de référence, celle des années 1961-1990 » (p. 207). Ces repères – à approfondir – peuvent certainement éclairer le développement du mouvement monastique en Franche-Comté, ainsi que la fréquentation de la Via Francigena, avec l’économie hôtelière qui lui est associée.
 
Enfin, pour terminer, une petite réflexion sur le calendrier. Par une sorte de coquetterie scientiste, notre auteur veut s’affranchir du calendrier usuel grégorien, et remplacer Jésus-Christ par Socrate lequel a vécu 400 ans « av. J.-C. » (ironie du paradoxe – p. 29). Si le subterfuge n’a aucune influence en archéologie du climat, lorsqu’on compte en centaine ou dizaines de milliers d’années, en revanche il ne résiste pas lorsqu’on entre dans la période historique et, après avoir été mis officiellement à la porte, dès la page 102 – soit 73 pages plus tard, Jésus-Christ, par la fenêtre fait son retour. La question n’est pas de mener ici un combat de coqs entre calendrier philosophique et calendrier chrétien, pour tenter de déterminer lequel est le plus pertinent en matière d’histoire du climat… mais de s’interroger sur la fonction même d’un calendrier.
À l’évidence le calendrier crée un espace culturel partagé, probablement civilisationnel, qui permet à tous les sujets de ladite culture ou civilisation d’élaborer une pensée, un ordonnancement et une organisation pratique communs. Qui s’en affranchit unilatéralement s’exclut de fait de cette culture ou société : il parle un langage étranger. Ainsi, on observe qu’il y a le calendrier chrétien, le calendrier musulman, le calendrier hébraïque, le calendrier aztèque, Romain… etc. Et même le calendrier républicain, qui a fait long-feu.
Justement, la tentative de renverser le calendrier chrétien, de manière directe ou feutrée, exprime clairement la volonté de s’affranchir d’une culture ou d’une civilisation chrétienne. Que les Juifs éprouvent quelques difficultés à se référer à « J.-C. » et préfèrent dire « avant ou après notre ère », de leur part cela s’entend, mais ils font malgré eux des émules universitaires ou médiatiques « woke » pour lesquelles toute référence au Christianisme est une compromission coupable. La Révolution cherche sa revanche, ou le transhumanisme sa victoire.
On s’aperçoit alors que le calendrier concerne non pas seulement l’espace culturel du moment, mais aussi son rapport avec le passé : la mémoire, et partant, le partage culturel, civilisationnel, avec les hommes du passé. User d’un calendrier, c’est s’inscrire dans une tradition (au sens moderne du terme) et partager un effort de mémoire avec les anciens. Faire rupture, en instaurant un calendrier inédit, signifie vouloir créer un monde nouveau. Et renvoyer l’ancien à l’oubli. Or ce geste est profondément religieux : s’il est motivé par Dieu, il s’inscrit dans la tradition des actes créateurs et conserve paradoxalement une unité avec l’Histoire qui le précède – c’est un accomplissement ; mais s’il est motivé par l’homme, il s’apparente à une négation, un affranchissement du Dieu Un et, d’une certaine façon, fait sortir de l’Histoire. Les cultures, les civilisations, nous l’avons vu dans cet ouvrage, sont mortelles, sauf celles qui se fondent sur la seule réalité qui les transcende toutes.
 
Cette « courte recension » était plus longue que prévu. Peut-être incitera-t-elle à lire cet ouvrage adressé, selon son auteur, au grand public – ce qu’il n’est pas toujours en regard de la masse d’informations rassemblées. Et de fait, dès que l’on touche aux fondements des civilisations, que ce soit par le biais du climat ou du calendrier, on ouvre toujours quelques perspectives propices à la réflexion.