DEDIEU F., La Confirmation à sa juste place.

 
DEDIEU F., La Confirmation à sa juste place, Artège, 2024.
 
L’essai du P. François Dedieu (diocèse de Nanterre) est intéressant et suggestif à plusieurs titres. Il pose le constat suivant fort bien résumé en quatrième de couverture : « Aujourd’hui, la confirmation est perçue comme utile mais facultative. Elle est destinée au croyant qui s’engage, elle est perçue comme l’apanage d'un « chrétien d'élite », voire un privilège. Mais pouvons-nous réellement nous satisfaire du fait que plus de la moitié des baptisés ne soient pas confirmés, et soient ainsi privés de la plénitude de l’Esprit Saint ? »
 
L’ouvrage reflète tout d’abord le réel souci pastoral du curé de la paroisse Saint-Urbain Sainte-Marie de La Garenne-Colombes, appuyé sur la volonté de nourrir ce souci et de le fonder dans une étude théologique et liturgique aussi structurée que possible.
C’est d’ailleurs le second point remarquable : le plan de l’ouvrage fournit plusieurs portes d’entrée thématiques sur la confirmation : 1) comme sacrement de l’initiation chrétienne, en distinguant l’unité des trois sacrements que forment le baptême, la confirmation et l’eucharistie, et la question de leur ordonnancement ; 2) comme parachèvement du baptême, selon l’Écriture, conférant un surcroît de grâce, un don renouvelé de l’Esprit Saint ; 3) comme porche de l’eucharistie : offrir et être offert en sacrifice, en vue de la communion. S’ensuivent quatre études théologico-spirituelles : les effets de la confirmation (permanents et oubliés), le don de l’Esprit Saint (vie intérieure, combat spirituel, dons, fruits et charismes), le lien à l’Église (ministre du sacrement, parrains et marraines), et l’envoi en mission (pour tous) ; et enfin trois études pastorales : préparer la confirmation, la célébrer et accompagner les confirmés.
Chacune de ces études nous donne accès à un large éventail de sources scripturaires, patristiques, liturgiques, dogmatiques, canoniques, pastorales, assez variées et fort utiles pour se constituer une première bibliographie sur le sujet.
 
L’approche du Père Dedieu est donc analytique. Il tente d’ordonner la matière et d’y trouver un ou des arguments utiles à sa thèse d’un juste ordonnancement des trois sacrements de l’initiation chrétienne. Cependant, remuant le rubik’s cube dans tous les sens, il nous semble qu’il n’y arrive pas et ne peut pas y arriver.
Sur le fond, il demeure une incompréhension théologique fondamentale de ce qu’est la confirmation et de ce qui la constitue en sacrement. Et ce ne sont pas les fruits dérivés au cours du temps, parfois pervertis (le thème de l’engagement, par exemple), qui permettent de remonter à la racine. Et ce fond est inaccessible parce que sur la forme l’étude du Père Dedieu n’est pas historique. C’est un problème de méthode. Les sources ne sont pas contextualisées et sont mélangées chronologiquement : on croisera ainsi des sources patristiques avec des documents pastoraux modernes, etc. L’ensemble forme une sorte d’inventaire à la Prévert.
 
Je ne veux pas accabler l’auteur qui a fait ce qu’il a pu avec les moyens du bord. Mais il est piégé par deux écueils auxquels il n’a pas su ou pas pu échapper.
Le premier est la perte du sens théologique de la confirmation au cours du temps, notamment en raison de son désaccouplement avec la liturgie du baptême des adultes, pour finalement aboutir à l’instrumentalisation du sacrement à des fins hétérogènes.
Le second est la forte perturbation introduite par l’étude de Robert Cabié sur la nature et le sens de la Pentècostè (La Pentecôte : l’évolution de la Cinquantaine pascale au cours des cinq premiers siècles, 1965), réduisant le temps pascal à une unique fête de Pâque, dont les significations sont diffractées de manière thématique sur cinquante jours. C’est dans le sillage de cette compréhension qu’on fait de la confirmation le don de l’Esprit Saint, placé liturgiquement de préférence au jour de la Pentecôte.
 
Or la thèse de Robert Cabié contredit la chronologie historique de saint Luc, qui distingue dans la Pentècostè les étapes du 8e jour et du 40e jour (l’Ascension), étapes fondatrices de la catéchèse mystagogique des Pères de l’Église, dont nous savons qu’elle est l’explication des sacrements de l’initiation à destination des néophytes. L’ensemble forme un tout cohérent. L’erreur de Cabié repose sur l’impasse qu’il fait de l’observance de la discipline de l’arcane avant le IVe siècle, qui réserve la catéchèse mystagogique aux seuls initiés. C’est très clair chez Origène. Je m’en suis expliqué dans L’Ascension et son mystère : la catéchèse mystagogique des Pères à la lumière de la règle de foi, 2012.
 
Le travail est à reprendre et à approfondir dans les domaines exégétiques et patristiques, exégétiques surtout. En effet, dans mon étude, je me suis appuyé sur le texte grec de l’Évangile et des Actes, ce qui paraît naturel. Mais j’ai fait l’impasse sur l’enracinement vétérotestamentaire (nonobstant la notion de souillure, donc la circoncision spirituelle [= la confirmation] délivre l’homme nouveau-né, telle qu’on la voit chez Irénée et Origène) et les notions hébraïques ou araméennes sous-jacentes aux textes, qui permettent un nouvel éclairage (par exemple la notion d’« élévation »). Il y a des choses à dire : espérons que je puisse ou quelqu’un puisse mener cette exploration prochainement. Alors l’essai du Père Dedieu pourra être correctement orienté et réorganisé, pour cette fois-ci atteindre – nous le souhaitons – sa cible.