MOULINET D., Histoire de la vie religieuse.

 
MOULINET D., Histoire de la vie religieuse, Éditions du Cerf, 2023, 324 p., 25 €
 
Facile à lire, cet ouvrage présente de manière didactique et bien informée l’arbre florissant de la vie religieuse depuis ses origines, qu’il fait remonter au prophète Elie, jusqu’aux « évolutions des dernières décennies », qui se soldent in fine par « la déstabilisation due aux scandales »… On reviendra sur ces derniers points.
 
De fait, le parcours chronologique débute par les premières figures ascétiques bibliques, suivies des véritables personnalités fondatrices que sont saint Antoine et saint Pacôme, les Pères du Désert, avant de présenter les deux grands branches orientale (les Pères cappadociens, notamment saint Basile) et occidentale (saint Augustin, mais surtout Cassien, Lérins, les Pères du Jura, saint Martin pour les Gaules, saint Benoît pour l’Italie, et saint Colomban l’Irlandais).
L’ouvrage se concentre ensuite sur l’Occident et la France en particulier : « la vie religieuse en occident du viie au xe siècles », Cluny, l’érémitisme qui donnera les Camaldules ou les Chartreux notamment, puis les ordres militaires et hospitaliers, les chanoines réguliers (Prémontré), les cisterciens, dominés par la figure de saint Bernard, les Ordres mendiants (Dominicains, Franciscains de toutes obédiences, Carmes…)
La crise de la fin du Moyen Âge suivie du Concile de Trente donne une nouvelle orientation à la vie religieuse, qui va surtout prendre la forme nouvelle de congrégations de prêtres (Jésuites, Oratoriens, Lazaristes…) avec le développement de nouvelles congrégations religieuses de femmes (Visitation, Carmel réformé de sainte Thérèse d’Avila, Annonciades, mais aussi Ursulines ou Filles de la Charité de saint Vincent de Paul, vouées aux œuvres éducatrices et hospitalières).
Après les signes précurseurs que sont la suppression de la Compagnie de Jésus et l’installation de la Commission des Réguliers, la Révolution fait table rase de la vie religieuse. Celle-ci renaît cependant au début du xixe siècle : la Trappe, Dominicains, Jésuites, Bénédictins de Solesmes ou de la Pierre-qui-Vire… et de nombreuses congrégations féminines dévouées aux malades et aux écoliers, effort plutôt réussi d’une restauration des formes anciennes.
Cependant la sourde lutte entre républicains hostiles et religieux tourne à l’avantage des premiers. Seule la fraternité renouée dans les tranchées de la Grande Guerre permettra, la paix revenue, un retour modéré des seconds. On voit émerger à cette époque les Instituts séculiers, initiés un siècle auparavant par le P. de Clorivière durant la période révolutionnaire, qui « cherchent à réaliser une forme de présence au monde plutôt qu’à accomplir une tâche spécifique ». Il apparaît que ce modèle de vie consacrée va prédominer spirituellement au xxe siècle et entraîner dans son sillage certains instituts de vie religieuse classique au moment des réformes postérieures au concile de Vatican II.
Quoique l’auteur tente de s’en défendre en conclusion, en évoquant la « capacité de renouvellement de cette forme de vie chrétienne », il apparaît assez clairement que la période post-conciliaire est pour la vie consacrée un véritable temps d’épreuve. Les réformes ont été menées à une époque de graves turbulences sociales qui ont déstabilisé autant les institutions que les personnes, et les communautés nouvelles n’ont pas produit, pour une part d’entre-elles, les fruits attendus, bien au contraire – sauf pour l’Emmanuel, le Chemin Neuf et les frères et sœurs de Bethléem, qui semblent être heureusement épargnés par les scandales. Quant aux communautés traditionnelles ou anciennes, l’auteur ne cache pas qu’elles font face aujourd’hui à « d’importantes difficultés de recrutement ».
 
En définitive, cet ouvrage fait parcourir au lecteur un véritable pèlerinage dans la vie spirituelle de l’Église catholique, qui n’est pas sans intérêt quand on prend un peu de recul. Cette relecture permet de comprendre, peut-être un peu, les ressorts qui ont conduit à la situation actuelle. Déjà étaient en gestation durant le xixe siècle et au début du xxe siècle les forces qui ont emporté de nombreuses communautés après le concile. Comme si toute l’Église, vie monastique comprise, avait voulue se transformer en Institut séculier. Sauf évidemment ceux qui ont résisté à ce mouvement.
 
On regrettera dans l’ouvrage quelques manques : en premier lieu l’absence du développement parallèle de la tradition orientale surtout copte, grecque et russe : les moines studites et acémètes de Constantinople, le Mont Athos, le mouvement hésychaste, les startsy russes d’Optino, les figures de saint Serge, saint Païssy Velitchkovsky, saint Séraphim de Sarov… saint Silouane et saint Païssios du Mont Athos pour les plus récents, et Matta el Maskîne, le vrai restaurateur de la vie monastique en Égypte. On n’oubliera pas saint Charbel, au Liban.
On regrettera également la bibliographie un peu trop succincte. C’est dommage. L’auteur semble bien informé et donne parfois quelques références utiles. Mais il aurait été très utile au novice, grâce à ce magnifique portail, de pouvoir approfondir ses recherches par la consultation d’ouvrages universitaires de référence.
Enfin, on est désolé, voire consterné quand on est franc-comtois, par quelques raccourcis ou inexactitudes, quoique certaines soient très drôles. 
Pour les erreurs, on se limitera à cette affirmation scandaleuse que saint Romain et son frère saint Lupicin sont des Lyonnais ! (p. 56). Il est bien clair que ce sont des Séquanes puisque saint Romain vient fonder son ermitage (à Condat, le futur Saint-Claude) « dans les forêts du Jura, proches de son domaine [familial] » (Vie des Pères du Jura, §5). Auparavant le rédacteur avait eu soin de préciser que Romain était « d’une assez bonne famille, à en juger par la lignée des descendants issus de celle-ci, et originaire, comme on nous l’apprend, de la Gaule Séquanaise » (Vie des Pères du Jura, §4).
Les choses étant mises au point, on terminera par cette affirmation merveilleuse que saint Robert de Molesme « se retire en 1090 et passe trois ans dans le désert d’Aux, dans la solitude »… « pour discerner » [sic!] 500 ans avant leur fondation et même l’idée de leur fondation, on a le sentiment que les Jésuites et leur spiritualité étaient déjà à l’œuvre ! Mais c’était probablement un clin d’œil humoristique volontaire de la part de l’auteur.
 
Nonobstant ces observations, on ne peut que conseiller voire recommander la lecture de cet ouvrage à tout étudiant en histoire ou à toute personne s’interrogeant sur la vie religieuse. Il convient ensuite, selon ses intérêts, d’approfondir la recherche dans des ouvrages plus ciblés.