GETCHA J., La Divine Liturgie.

 
GETCHA J., La Divine Liturgie. Les cieux sur la terre, Voix de l’orthodoxie-Salvator, 2024 ; 227 p., 19 €.
 
Monseigneur Job Getcha, métropolite de Pisidie du Patriarcat œcuménique de Constantinople, enseigne les liturgies orientales à l’Institut Catholique de Paris. C’est donc avec une double compétence pratique et scientifique qu’il offre au public cette rapide mais substantielle présentation de la Divine Liturgie pratiquée dans les Églises orientales.
 
L’ouvrage se lit facilement même s’il est parfois difficile de suivre le commentaire de la Divine Liturgie. D’une part parce que l’auteur joue avec l’histoire des rites, ce qui fait que par moments le lecteur ne sait plus si telle ou telle action se pratique ou non dans la liturgie actuelle. D’autre part parce que la liturgie orientale demeure un mystère pour un chrétien latin, surtout après de nombreuses années d’application vulgaire de la réforme liturgique souhaitée par Vatican II, application qui occulte malheureusement la plupart des principes essentiels de la liturgie chrétienne.
 
Ces deux observations nous conduisent a contrario à relever d’une part la diversité, l’évolution et les variations constantes de la liturgie, qu’elle soit orientale ou latine. Néanmoins il n’apparaît pas dans la tradition orientale de rupture telle que la partie latine connaît depuis quelques dizaines d’années. D’autre part, il est bon pour le chrétien latin de retrouver justement les principes liturgiques qu’il a oubliés ou plutôt qu’il ignore. Car même si le rite romain actuellement en vigueur peut tout à fait se lire et se vivre selon les principes liturgiques communs, pour une bonne part (la plupart ?) des ecclésiastiques et des fidèles latins, il se lit et se vit actuellement différemment.
 
Parmi les éléments que nous pouvons relever, le fait que le cycle des lectures (Ancien Testament, Épîtres puis Évangile) fonctionne comme une préparation progressive à la compréhension du mystère (p. 94) : on retrouve l’idée d’accoutumance chère à Irénée. La liturgie est comme un concentré de l’Histoire du Salut.
 
D’autre part, la liturgie n’est pas seulement la mémoire d’événements bibliques ou évangéliques anciens, ni même leur actualisation par le rite, mais aussi l’anticipation de la manifestation de la gloire de Dieu : « La Divine Liturgie […] introduit le croyant dans le Royaume de Dieu à venir. À travers la célébration de la Divine Liturgie, les cieux sont sur la terre, le Royaume de Dieu est déjà là, bien que pas encore en plénitude. Dans chaque célébration liturgique, le passé, le présent et l’avenir sont liés dans le mystère. » (p. 139) Ceci explique et nécessite toute la symbolique liturgique : architecture, espace et décoration des églises, ornements matériels et vestimentaires, chants…
 
La prière de l’épiclèse (invocation de l’Esprit Saint) demande que « l’Esprit Saint soit envoyé « sur nous et sur ces dons ». La prière de l’épiclèse implique donc une double transformation : celle des dons eucharistiques d’une part, et celle de l’assemblée d’autre part. […] Ainsi la prière de l’épiclèse demande non seulement une transformation des dons offerts en Corps et Sang du Christ, mais aussi une transformation des fidèles en corps mystique du Christ, en corps ecclésial. Cette transformation s’opère, comme l’affirme la prière, par la communion aux dons eucharistiques […] » (p. 144-145).
On relèvera que la communion eucharistique des fidèles correspond ainsi réellement au don de l’Esprit Saint, comme ce fut pour la première communauté chrétienne lors de la Pentecôte : « Par la communion aux dons eucharistiques ainsi sanctifiés, les croyants ne communient pas seulement au Corps et au Sang du Christ, mais reçoivent aussi la grâce du Saint-Esprit qui leur permet de participer par grâce à la vie divine, c’est-à-dire d’être déifiés » (p. 161) ; « De ce fait, ceux qui communient à l’eucharistie reçoivent non seulement la communion au Corps et au Sang du Christ, mais aussi la communion du Saint-Esprit » (p. 179).
 
Nous retrouvons ici le premier principe évoqué : « Un tel ajout [stichère de la Pentecôte] suit la logique développée à partir du XIe siècle, selon laquelle chaque moment de la Divine Liturgie devait correspondre à un moment du mystère du salut. Puisqu’elle avait commencé par la naissance du Christ au moment de la prothèse [préparation des offrandes], il était logique qu’elle se terminât par l’évocation de la Pentecôte. Par ailleurs, comme nous l’avons vu, la communion eucharistique a rendu possible la « communion du Saint-Esprit » qui avait fait l’objet de bien des prières » (p. 199-200).
 
Enfin, nous laisserons l’auteur récapituler le double mouvement ascendant et descendant qui anime toute liturgie chrétienne :
« [L’expérience de la Divine Liturgie] est une montée vers la liturgie céleste, vers le Royaume de Dieu. […] Plusieurs prières de la Divine Liturgie demandent en effet que l’offrande soit agréée à l’autel céleste, que les célébrants et les croyants se joignent aux chœurs angéliques. Par sa participation à la Divine Liturgie, le croyant fait l’expérience de l’éternité et est devenu un témoin du Royaume de Dieu.
Et en même temps, c’est un mouvement descendant, grâce auquel nous faisons l’expérience des cieux sur la terre. La Divine Liturgie est ainsi une épiphanie du Royaume de Dieu sur terre, et la liturgie céleste de l’Agneau [Ap 5,6.11-14] est manifestée dans l’offrande et la sanctification de l’Agneau de la Divine Liturgie. La liturgie de l’Agneau de la Jérusalem céleste et la Divine Liturgie ne sont pas deux liturgies différentes, mais une seule et même chose. […] Ainsi, dans la Divine Liturgie, Dieu descend sur terre et par là se manifeste la venue en puissance du Royaume de Dieu parmi les hommes.
La célébration de la Divine Liturgie est pour ainsi dire un moment d’éternité dans le temps, qui transcende la vie et surpasse toutes les limites spatiales et temporelles. Le ciel et la terre se trouvent réunis, le temps rencontre l’éternité, Dieu et les hommes se retrouvent et sont appelés à se réconcilier, à s’unir et à former un seul corps : le Corps du Christ » (p. 213-214).
 
On s’aperçoit à la lecture de l’ouvrage que si les références vétéro et néo-testamentaires sont nombreuses dans le rite oriental, il n’en demeure pas moins que la filiation entre les (rares) témoignages bibliques et patristiques anténicéens et le rite tel qu’il apparaît à l’époque constantinienne est pratiquement inexistante. Cette observation vaut également pour le rite latin. D’aucuns – et certains ont pignon sur rue – en profiteraient pour arguer d’une invention liturgique, une construction, élaborée dogmatiquement et cléricalement à l’époque de la Grande Église. Mais c’est faire l’impasse sur la règle de la discipline de l’arcane, qui consiste à réserver (jusqu’au IVème siècle justement) la connaissance du rite eucharistique et de sa signification aux seuls baptisés. Ce voile – qu’Origène lève en partie dans ses fameuses Homélies – est malheureusement passé sous silence dans les études liturgiques modernes et leurs multiples vulgarisations, ce qui crée une déformation désastreuse de la compréhension de la liturgie en général et de la théologie orthodoxe qu’elle transmet.
Un immense travail reste à faire – que nous pensons possible en partie – pour identifier les fibres qui unissent comme de l’intérieur le Nouveau Testament et les liturgies orientales et latines dont nous avons hérité et qui font vivre dans l’Esprit l’Église indivise.