UN CHARTREUX, Le Discernement des esprits, Presses
de la Renaissance, 2003.
Ce n’est pas un livre: c’est un outil. Celui-ci ne devrait
pas être replacé dans une bibliothèque sans avoir été auparavant assimilé par
le lecteur.
L’auteur est présenté comme un maître des novices chartreux,
probablement de la chartreuse de Parkminster au Royaume-Uni. À tout le moins,
celui-ci s’exprime avec l’autorité qui lui est personnelle mais aussi celle
reçue de son Ordre dont tout le monde reconnaît la solidité en matière de vie
religieuse et spirituelle. L’édition de son enseignement est donc du plus grand
intérêt, non seulement pour des religieux et pour tout homme soucieux de vivre
selon l’Esprit reçu à son baptême, mais aussi pour porter un regard critique et
bienveillant sur le devenir des sociétés humaines.
Le style du texte est d’une sobriété toute cartusienne, très
abordable, tout dans la concision et la précision. On ne peut manquer de
rapprocher cette observation avec les caractéristiques du « bon
esprit » : vrai, pas de choses inutiles, éclaire l’intelligence (p.
142).
L’ouvrage est construit en plusieurs parties.
Les deux premiers chapitres (L’école du Saint-Esprit et Le
Maître intérieur) présentent au novice l’activité de l’Esprit Saint qui veut
nous conduire dans la vie divine, la plénitude de la grâce reçue au baptême.
Cette activité appelle de notre part en réponse une docilité à ses
sollicitations, mais aussi un renoncement à ce qui s’y oppose. L’exercice de
cette volonté, qui peut également être un combat, est facilité par le silence
extérieur, la vie dans la cellule monastique, pourvu que s’y développe le véritable
silence, le silence intérieur, dans lequel est rendu possible le dialogue avec
Dieu.
Les deux chapitres suivants introduisent à la tradition du
discernement des esprits depuis l’Ancien Testament jusqu’aux statuts
cartusiens, en passant par les Évangiles, saint Paul, surtout saint Jean (1Jn
notamment) et les Pères du désert.
Le chapitre v constitue le cœur pratique de l’ouvrage, celui
qui devrait être particulièrement assimilé par les lecteurs : « La
purification des passions ». Il distingue 1) la partie concupiscible de
l’homme (gourmandise, impureté, avarice et tristesse [comme frustration d’un
désir non assouvi]) ; la partie irascible (colère et acédie) ; et la
purification de la vaine gloire et de l’orgueil. Nous retrouvons ici les huit
vices principaux apparemment systématisés par Évagre le Pontique (Traité
pratique) à partir de l’expérience des Pères ; « Cassien (Conférence
V) et la tradition postérieure suivirent son énumération, elle est à la
source de notre liste des sept péchés capitaux » (p. 90).
Dans la plupart des sous-chapitres reprenant chacune des
passions sont présentées de manière très simple les pensées, leurs formes,
parfois leurs effets, ainsi que les remèdes adaptés. L’auteur se situe dans la
tradition monastique héritée d’Athanase d’Alexandrie, Évagre le Pontique et
Jean Cassien, régulièrement cités, tout en incluant à sa réflexion les aspects
moralement neutres ou bons de ces passions en faisant appel à la psychologie
moderne (cf. p. 90). Il ne sera pas inutile de parcourir ce
chapitre pour se préparer au sacrement de la réconciliation.
Les chapitres vi
et vii complètent l’enseignement
par quelques outils systémiques développés par la tradition ultérieure et par
les sciences humaines (psychologie moderne). On y trouvera plusieurs tableaux
utiles : « bon esprit/esprit mauvais », proposé par le P. Joseph
de Guibert, Leçons de théologie spirituelle, 1955 (p. 142) ;
« Signes de l’esprit douteux et suspect » (p. 143) ;
« divers niveaux de notre vie » croisant les niveaux de vie
« Physiopsychologie, psychosocial, spirituel (esprit humain et sphère de
l’Esprit) », d’une part, et « Besoins, pulsions agressives et
pulsions libidinales-affectives » (p. 160-161). Les pulsions
agressives doivent être subdivisées en pulsions saines et malsaines, de même
que les pulsions libidinales doivent être distinguées entre « avides et
possessives », saines et malsaines, et « jouisseuses
amoureuses » saines et malsaines derechef.
Au cours de cet enseignement, le lecteur perçoit sans
difficulté combien l’auteur est un maître : ses propos clairs, informés et
maîtrisés permettent d’aborder avec confiance les situations complexes. On ne
peut donc que recommander la possession de cet ouvrage afin d’y revenir
régulièrement ou plutôt de le posséder intérieurement pour la conduite d’une
vie plus saine et plus sainte.