DIAT N., Humilitas. La naissance des hommes seuls, Fayard, 2024.
Le lecteur habitué des entretiens de l’auteur avec le
cardinal Sarah ne sera pas étonné de retrouver Nicolas Diat fréquenter les
monastères d’Égypte, ces hauts-lieux de la prière, ces mémorials vivants des
Pères du Désert, premiers maîtres de la vie anachorétique, érémitique ou
monastique.
L’ouvrage, qui se lit aisément et rapidement comme un « roman
de gare », est davantage un reportage, un aperçu, des notes de voyage ou des
croquis littéraires, qu’une présentation académique de la vie monastique
égyptienne. Les quelques références bibliographiques proposées sont éclectiques
et davantage culturelles qu’universitaires.
On restera donc sur sa faim quant à la publicité faite à l’ouvrage
par Jean-Marie Guénois dans son article intitulé « Ces moines égyptiens
qui descendent des pharaons » publié dans Le Figaro du 27 novembre
2024.
S’il est tout à fait exact que le terme « copte » provient exactement du terme « Égyptien » et bien que l’affirmation (non sourcée) de l’auteur « les correspondances mimétiques entre la religion pharaonique et celle du christianisme copte sont innombrables » (p. 30) soit probablement très discutable, on conviendra avec ce dernier cependant qu’il ne faut pas chercher à faire des moines coptes des disciples lointains des reclus du temple de Sérapis à Memphis, comme le firent les théologiens allemands du XIXe siècle (p. 30).
Sur les racines du monachisme égyptien, on n’en saura donc guère plus, hormis la figure de saint Antoine le Grand racontée par le grand évêque saint Athanase d’Alexandrie et sa rencontre avec Paul de Thèbes. On citera ici cet enseignement essentiel pour comprendre le sens de la vie monastique du patriarche des moines : « il les exhortait à se souvenir des biens futurs et à ne pas oublier la charité que Dieu nous a montrée en n’épargnant pas son propre fils, mais en le livrant pour nous tous » (p. 55).
La question de la filiation entre les pratiques religieuses égyptiennes antiques et le monachisme chrétien naissant est liée à la question disputée de la définition religieuse de la communauté des « Thérapeutes » décrite par Philon d’Alexandrie au Ier siècle dans son ouvrage De la vie contemplative. Lui la disait essénienne, comme celle de Qumran. Plus tard, les Pères de l’Église Eusèbe de Césarée, Jérôme de Stridon et Épiphane de Salamine la comprirent comme une présentation des premières communautés chrétiennes d’Égypte, et par conséquent comme un modèle de référence pour les communautés monastiques.
Les critiques modernes sont plutôt enclins à penser que la continuité présentée par les Pères est une reconstruction erronée et que les Thérapeutes vivaient au mieux une sorte d’Essénisme alexandrin, au pire un syncrétisme de judaïsme influencé par des philosophies (Pythagorisme) ou d’autres religions étrangères. Tout cela est fort possible. Mais ces points de vue modernes arrangent tout le monde… Il vaudrait mieux de nos jours que les communautés chrétiennes primitives ne fussent pas trop contemplatives et ascétiques !
Il n’en demeure pas moins que le monachisme fait partie de l’ADN de l’Église d’Égypte, selon ce qu’en disait le moine Théodore : « En Égypte, dans notre actuelle génération, je vois trois choses capitales prospères avec l’aide de Dieu et des hommes. La première est le bienheureux athlète saint Athanase, archevêque d’Alexandrie, qui combat jusqu’à la mort pour la foi. La deuxième est notre saint père apa Antoine qui est la forme la plus parfaite de la vie anachorétique. La troisième est cette congrégation, qui est le modèle pour quiconque désire réunir les âmes selon Dieu, afin de les aider jusqu’à ce qu’elles deviennent parfaites. » On peut transposer cette observation dans une ecclésiologie fondée sur la tradition apostolique (l’évêque), la vie de l’Esprit (l’anachorète) et son incarnation dans la charité (la communauté). S’il demeure des chrétiens aujourd’hui en Égypte, dans un environnement difficile, c’est parce que ces trois dimensions sont toujours vivantes.
Pour autant, les lieux visités par Nicolas Diat, les
personnages rencontrés par lui, sont tout à fait réels et les enseignements spirituels
glanés ici et là sonnent de manière tout à fait authentique. On retrouve d’ailleurs
avec plaisir la figure bien connue des initiés au monachisme copte du Père
Wadid (p. 101), digne fils spirituel du Père Matta El-Maskîne, dont nombre
d’œuvres de référence sont accessibles en français depuis quelques années déjà.
Le Père Wadid évoque le critère de discernement utilisé par son maître pour entrer en vie monastique : « Je lui parle de l’amour du Christ. Si je lis que son cœur bat pour Dieu, il sera un bon moine » (p. 103). À cette condition que le postulant ait « senti au moins une fois son cœur battre d’amour pour Dieu », l’ouvrage de Nicolas Diat ne précise pas que celui-ci doit également répondre aux deux questions suivantes : « Aimes-tu le Seigneur ? » (souvent le postulant répond ici par l’affirmative, bien entendu) ; et : « sens-tu que Jésus t’aime ? » (et là, la réponse est décisive !) (Cf. Matta el Maskîne et le renouveau du monastère de saint Macaire, Les Chaillots, 2010, p. 34).
De fait, les conditions d’entrée au monastère sont sévères, car bien au-delà des conditions physiques ou intellectuelles, c’est la capacité spirituelle qui est déterminante. Le Père Daniel, abbé du monastère de Mar Boulos la décrit ainsi : « Le jeune moine est le même homme dans le monde et dans notre maison. La persévérance est une qualité fondamentale. Le jeune qui est appelé possède la joie de porter la croix du Christ. Nous devons nous sacrifier pour le fils de Dieu et manifestons alors la vérité divine. Il n’y a qu’une seule condition pour survivre ici : tout le jour, nous devons regarder le Christ. Dans toutes nos activités, il faut Le voir » (p. 96). Et il ajoute : « Quand nous partirons, nous entrerons au Ciel grâce au sang du Christ. Il nous a donné la force de supporter les peines. Si Dieu aime un moine, il lui donne le don d’être malade et de grandir par cette épreuve. […] Saint Jacques l’apôtre dit que la joie la plus profonde est d’affronter les peines » (ibid.). De fait, la vie monastique est une vie offerte à Dieu en toutes circonstances, et pour un moine, de savoir « s’il va bien » n’a pas de sens.
Au bout du compte (et même si ces quelques lignes permettent
d’aborder bien des questions fondamentales), on ressortira de la lecture de l’ouvrage
de Nicolas Diat un peu surpris par une certaine forme de légèreté :
pourquoi tant de publicité pour si peu ? Pourquoi un article au titre (presque
faussement) accrocheur dans Le Figaro ? La seule réponse que je
peux donner à cette question est la volonté des deux journalistes – dans la
parfaite continuité de la ligne dessinée par le cardinal Sarah, et avant lui
par le bon pape Benoît XVI – d’attirer le regard de nos contemporains pressés
vers les prioritaires « réalités d’en haut », et pour cela de témoigner
de ceux qui en vivent aujourd’hui avec bonheur.
S’il est tout à fait exact que le terme « copte » provient exactement du terme « Égyptien » et bien que l’affirmation (non sourcée) de l’auteur « les correspondances mimétiques entre la religion pharaonique et celle du christianisme copte sont innombrables » (p. 30) soit probablement très discutable, on conviendra avec ce dernier cependant qu’il ne faut pas chercher à faire des moines coptes des disciples lointains des reclus du temple de Sérapis à Memphis, comme le firent les théologiens allemands du XIXe siècle (p. 30).
Sur les racines du monachisme égyptien, on n’en saura donc guère plus, hormis la figure de saint Antoine le Grand racontée par le grand évêque saint Athanase d’Alexandrie et sa rencontre avec Paul de Thèbes. On citera ici cet enseignement essentiel pour comprendre le sens de la vie monastique du patriarche des moines : « il les exhortait à se souvenir des biens futurs et à ne pas oublier la charité que Dieu nous a montrée en n’épargnant pas son propre fils, mais en le livrant pour nous tous » (p. 55).
La question de la filiation entre les pratiques religieuses égyptiennes antiques et le monachisme chrétien naissant est liée à la question disputée de la définition religieuse de la communauté des « Thérapeutes » décrite par Philon d’Alexandrie au Ier siècle dans son ouvrage De la vie contemplative. Lui la disait essénienne, comme celle de Qumran. Plus tard, les Pères de l’Église Eusèbe de Césarée, Jérôme de Stridon et Épiphane de Salamine la comprirent comme une présentation des premières communautés chrétiennes d’Égypte, et par conséquent comme un modèle de référence pour les communautés monastiques.
Les critiques modernes sont plutôt enclins à penser que la continuité présentée par les Pères est une reconstruction erronée et que les Thérapeutes vivaient au mieux une sorte d’Essénisme alexandrin, au pire un syncrétisme de judaïsme influencé par des philosophies (Pythagorisme) ou d’autres religions étrangères. Tout cela est fort possible. Mais ces points de vue modernes arrangent tout le monde… Il vaudrait mieux de nos jours que les communautés chrétiennes primitives ne fussent pas trop contemplatives et ascétiques !
Il n’en demeure pas moins que le monachisme fait partie de l’ADN de l’Église d’Égypte, selon ce qu’en disait le moine Théodore : « En Égypte, dans notre actuelle génération, je vois trois choses capitales prospères avec l’aide de Dieu et des hommes. La première est le bienheureux athlète saint Athanase, archevêque d’Alexandrie, qui combat jusqu’à la mort pour la foi. La deuxième est notre saint père apa Antoine qui est la forme la plus parfaite de la vie anachorétique. La troisième est cette congrégation, qui est le modèle pour quiconque désire réunir les âmes selon Dieu, afin de les aider jusqu’à ce qu’elles deviennent parfaites. » On peut transposer cette observation dans une ecclésiologie fondée sur la tradition apostolique (l’évêque), la vie de l’Esprit (l’anachorète) et son incarnation dans la charité (la communauté). S’il demeure des chrétiens aujourd’hui en Égypte, dans un environnement difficile, c’est parce que ces trois dimensions sont toujours vivantes.
Le Père Wadid évoque le critère de discernement utilisé par son maître pour entrer en vie monastique : « Je lui parle de l’amour du Christ. Si je lis que son cœur bat pour Dieu, il sera un bon moine » (p. 103). À cette condition que le postulant ait « senti au moins une fois son cœur battre d’amour pour Dieu », l’ouvrage de Nicolas Diat ne précise pas que celui-ci doit également répondre aux deux questions suivantes : « Aimes-tu le Seigneur ? » (souvent le postulant répond ici par l’affirmative, bien entendu) ; et : « sens-tu que Jésus t’aime ? » (et là, la réponse est décisive !) (Cf. Matta el Maskîne et le renouveau du monastère de saint Macaire, Les Chaillots, 2010, p. 34).
De fait, les conditions d’entrée au monastère sont sévères, car bien au-delà des conditions physiques ou intellectuelles, c’est la capacité spirituelle qui est déterminante. Le Père Daniel, abbé du monastère de Mar Boulos la décrit ainsi : « Le jeune moine est le même homme dans le monde et dans notre maison. La persévérance est une qualité fondamentale. Le jeune qui est appelé possède la joie de porter la croix du Christ. Nous devons nous sacrifier pour le fils de Dieu et manifestons alors la vérité divine. Il n’y a qu’une seule condition pour survivre ici : tout le jour, nous devons regarder le Christ. Dans toutes nos activités, il faut Le voir » (p. 96). Et il ajoute : « Quand nous partirons, nous entrerons au Ciel grâce au sang du Christ. Il nous a donné la force de supporter les peines. Si Dieu aime un moine, il lui donne le don d’être malade et de grandir par cette épreuve. […] Saint Jacques l’apôtre dit que la joie la plus profonde est d’affronter les peines » (ibid.). De fait, la vie monastique est une vie offerte à Dieu en toutes circonstances, et pour un moine, de savoir « s’il va bien » n’a pas de sens.