En vingt lettres le frère Benoît Standaert, moine de
l’abbaye bénédictine de Saint-André-lès-Bruges, aujourd’hui ermite, fait cheminer
son lecteur (ou plutôt sa lectrice, prénommée Nathalie) dans les Écritures et
la Tradition de l’Église sur le thème de la crainte de Dieu.
Le choix de la forme littéraire de la lettre veut sans doute
rendre l’exposé plus accessible et empreint d’affection mais, surtout pour un
lecteur masculin, il ne paraît pas très heureux. Un moine écrit-il à une jeune
fille ? Le registre est curieux. Mais on s’y habitue. Je dois reconnaître cependant
qu’un exposé universitaire sur la question n’aurait probablement pas été très
adapté non plus. C’est un vrai problème : comment bien parler de l’Esprit
Saint si ce n’est en le laissant parler en nous ? L’avantage du choix de
l’auteur est que le ton n’est pas prétentieux et qu’il est engagé
personnellement dans son discours, ce qu’on ne peut pas faire dans un
commentaire, une analyse, qui se veut « scientifique ». La question
reste donc pour l’heure en suspens.
L’approche du thème (il est bien regrettable d’employer ce
terme) de la « crainte de Dieu » est bien celle d’un moine
occidental. Ce dernier découvre dans sa tradition spirituelle et religieuse (Écritures,
dont les Psaumes récités quotidiennement, et la Règle de saint Benoît)
une dimension spirituelle qui – dit-il – semble ignorée, oubliée de ses
contemporains, ou comprise d’une mauvaise façon, voire d’une façon unilatérale qui
la dénature : la « crainte de Dieu » comme « peur de
Dieu ». Pourtant, les Écritures et la Tradition ne cessent de comprendre
cette « crainte » comme une chose vertueuse, désirable, heureuse. C’est
dans ce sens que l’auteur nous fait parcourir l’ensemble des traditions
religieuses, depuis le livre de la Sagesse, le Psautier…, les écrits
monastiques antiques qu’ils soient Égyptiens (Apophtegmes…), mais aussi Syriens
ou Palestiniens, Occidentaux et Orientaux, ou modernes, jusqu’aux écrits juifs,
musulmans et même bouddhistes. Éventail typique de l’Occidental « ouvert » !
Cependant, on perçoit bien que la « crainte de Dieu » est vraiment un
bien propre aux juifs et aux chrétiens : c’est là que les lettres sont les
plus riches, les plus profondes, les plus justes. Car Dieu est un Dieu
personnel.
Saint Jean dépose cependant dans le courant de cette
tradition un écueil perturbant : « Il n’y a pas de crainte dans
l’amour, l’amour parfait bannit la crainte ; car la crainte implique un
châtiment, et celui qui reste dans la crainte n’a pas atteint la perfection de
l’amour. » (1 Jn 4,18). Comment comprendre l’articulation entre la
crainte et l’amour ? Crainte pour les commençants, amour pour les
parfaits ? Amour dans la crainte et crainte dans l’amour ? Deux voies
complémentaires ? Question de vocabulaire, de traduction ? Ou encore,
distinction entre plusieurs types de « craintes » ? Le débat traverse tout le livre. Seule la
Bienheureuse Julienne de Norwich, peut-être, semble arriver à trouver un juste
équilibre, la bonne manière de voir et dire les choses.
On regrettera que la question de l’enseignement de la « crainte »,
de son apprentissage ne soit pas un peu plus développée en dehors du simple aperçu
sur les attitudes corporelles monastiques. Car si l’on conçoit que la « crainte
de Dieu » est une dimension essentielle de la vie avec le Seigneur, et qu’elle
s’apprend, alors elle devrait naturellement prendre sa juste place en
catéchèse. J’aurais aimé trouver une réflexion à ce sujet, qui reste donc à entreprendre,
pour retrouver le fil de la tradition ou bâtir du nouveau.
Pour finir, on ne saurait trop recommander au lecteur non seulement
de (re)découvrir cette « crainte de Dieu », mais aussi de se l’approprier
davantage pour la vivre. Le fait que notre religion ou spiritualité chrétienne occidentale
l’ait en grande partie occultée ou perdue doit pouvoir s’expliquer (marcionisme ?)
et se corriger.