STANDAERT B., La crainte de Dieu.


 STANDAERT B., La crainte de Dieu, Médiaspaul, 2006
 
En vingt lettres le frère Benoît Standaert, moine de l’abbaye bénédictine de Saint-André-lès-Bruges, aujourd’hui ermite, fait cheminer son lecteur (ou plutôt sa lectrice, prénommée Nathalie) dans les Écritures et la Tradition de l’Église sur le thème de la crainte de Dieu.
 
Le choix de la forme littéraire de la lettre veut sans doute rendre l’exposé plus accessible et empreint d’affection mais, surtout pour un lecteur masculin, il ne paraît pas très heureux. Un moine écrit-il à une jeune fille ? Le registre est curieux. Mais on s’y habitue. Je dois reconnaître cependant qu’un exposé universitaire sur la question n’aurait probablement pas été très adapté non plus. C’est un vrai problème : comment bien parler de l’Esprit Saint si ce n’est en le laissant parler en nous ? L’avantage du choix de l’auteur est que le ton n’est pas prétentieux et qu’il est engagé personnellement dans son discours, ce qu’on ne peut pas faire dans un commentaire, une analyse, qui se veut « scientifique ». La question reste donc pour l’heure en suspens.
 
L’approche du thème (il est bien regrettable d’employer ce terme) de la « crainte de Dieu » est bien celle d’un moine occidental. Ce dernier découvre dans sa tradition spirituelle et religieuse (Écritures, dont les Psaumes récités quotidiennement, et la Règle de saint Benoît) une dimension spirituelle qui – dit-il – semble ignorée, oubliée de ses contemporains, ou comprise d’une mauvaise façon, voire d’une façon unilatérale qui la dénature : la « crainte de Dieu » comme « peur de Dieu ». Pourtant, les Écritures et la Tradition ne cessent de comprendre cette « crainte » comme une chose vertueuse, désirable, heureuse. C’est dans ce sens que l’auteur nous fait parcourir l’ensemble des traditions religieuses, depuis le livre de la Sagesse, le Psautier…, les écrits monastiques antiques qu’ils soient Égyptiens (Apophtegmes…), mais aussi Syriens ou Palestiniens, Occidentaux et Orientaux, ou modernes, jusqu’aux écrits juifs, musulmans et même bouddhistes. Éventail typique de l’Occidental « ouvert » ! Cependant, on perçoit bien que la « crainte de Dieu » est vraiment un bien propre aux juifs et aux chrétiens : c’est là que les lettres sont les plus riches, les plus profondes, les plus justes. Car Dieu est un Dieu personnel.
 
Saint Jean dépose cependant dans le courant de cette tradition un écueil perturbant : « Il n’y a pas de crainte dans l’amour, l’amour parfait bannit la crainte ; car la crainte implique un châtiment, et celui qui reste dans la crainte n’a pas atteint la perfection de l’amour. » (1 Jn 4,18). Comment comprendre l’articulation entre la crainte et l’amour ? Crainte pour les commençants, amour pour les parfaits ? Amour dans la crainte et crainte dans l’amour ? Deux voies complémentaires ? Question de vocabulaire, de traduction ? Ou encore, distinction entre plusieurs types de « craintes » ?  Le débat traverse tout le livre. Seule la Bienheureuse Julienne de Norwich, peut-être, semble arriver à trouver un juste équilibre, la bonne manière de voir et dire les choses.
 
On regrettera que la question de l’enseignement de la « crainte », de son apprentissage ne soit pas un peu plus développée en dehors du simple aperçu sur les attitudes corporelles monastiques. Car si l’on conçoit que la « crainte de Dieu » est une dimension essentielle de la vie avec le Seigneur, et qu’elle s’apprend, alors elle devrait naturellement prendre sa juste place en catéchèse. J’aurais aimé trouver une réflexion à ce sujet, qui reste donc à entreprendre, pour retrouver le fil de la tradition ou bâtir du nouveau.
 
Pour finir, on ne saurait trop recommander au lecteur non seulement de (re)découvrir cette « crainte de Dieu », mais aussi de se l’approprier davantage pour la vivre. Le fait que notre religion ou spiritualité chrétienne occidentale l’ait en grande partie occultée ou perdue doit pouvoir s’expliquer (marcionisme ?) et se corriger.