
MIMOUNI S.-Cl., Jacques le juste, frère de Jésus de Nazareth, Bayard, 2015.
D’un point de vue formel, j’ai beaucoup regretté, surtout dans les premiers chapitres, une forme de superficialité dans la recherche et l’analyse des sources. Je n’ai pas reconnu le savant que j’avais apprécié dans d’autres ouvrages. Heureusement, dans la suite de l’ouvrage un certain nombre de chapitres paraissent plus fouillés et relèvent la qualité et l’intérêt de l’ensemble.
Car, il faut le dire – et c’est la raison pour laquelle j’aime lire Simon-Claude Mimouni – l’auteur demeure un maître dans l’art de la recherche des sources et commentaires, de leur analyse, parfois très fine et suggestive, et leur exposé toujours d’une très grande clarté. Quoi qu’on pense du fond, la méthode demeure la même et c’est un plaisir de s’y confronter.
On n’ignore pas que Jacques est appelé par Paul « frère du Seigneur » (Ga 1,19), et qu’on parle dans les Évangiles selon Matthieu et Marc de Marie « sa mère » et « ses frères » Jacques, Joseph, Simon et Jude (Mt 13,55 ; Mc 6,3). Mais Matthieu dit de Marie « l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint » et, ainsi que Marc, ne qualifie jamais Jacques de « frère du Seigneur ». Au pied de la croix, l’un évoque « Marie, mère de Jacques et de José » et l’autre précise « Marie, mère de Jacques le Petit et de José »… curieuse évocation de Marie, mère de Jésus, si ce n’est qu’il s’agit d’une autre Marie !? Luc mentionne aussi « Marie mère de Jacques ». Saint Jean, finalement, identifie cette Marie avec Marie femme de Cléophas, sœur de Marie la mère de Jésus (Jn 19,25). Il est remarquable que Jean ne mentionne jamais le nom de « Jacques », même quand il évoque les « fils de Zébédée » (Jn 21,2). « Que ton nom ne soit plus ! » dirait le Cheik Abdel Razek, dans la chambre d’Horus ! (cf. E. P. Jacobs, Blake et Mortimer : le Mystère de la Grand Pyramide, 1950-1952).
Bref, nous nous trouvons là devant une difficulté exégétique aussi ancienne que les évangiles eux-mêmes. Et justement, on ne s’aperçoit que trop dans l’ouvrage de Simon-Claude Mimouni qu’il prend pour argent comptant les résultats de l’exégèse moderne libérale, tout en vitupérant contre les « théologiens-exégètes » qui sacrifient l’Histoire sur l’autel du dogme. Que n’applique-t-il pas sa méthode d’analyse des documents anciens aux textes bibliques eux-mêmes ! Plutôt que de faire appel aux exégètes, dont on conviendra qu’ils sont prisonniers du narratif « scientifique » établi sur le tabou du soi-disant texte grec primitif, il aurait mieux fait de s’appuyer sur les philologues qui se plaisent à naviguer dans les versions les plus anciennes (Vetus Syra, Vetus latina…) et offrent des lectures alternatives ayant quelques chances d’être pour le coup quasi originaires. D’autre part, quand on est en présence d’un texte rédigé par un théologien – un évangéliste est un théologien, surtout saint Jean – on ne peut pas faire abstraction de la théologie pour le lire et le comprendre. Peut-on comprendre le récit de la cinquantaine pascale de l’Évangile de Luc et des Actes des Apôtres si on ignore ce que dit la Loi pour la purification des premiers-nés et de leur mère ? Un minimum de théologie est nécessaire, sauf à se fourvoyer complètement. Simon-Claude Mimouni a travaillé trop vite, trop superficiellement, et c’est dommage. Il faut d’abord libérer les textes évangéliques de leur « captivité babylonienne exégétique » avant de vouloir les faire parler.
À la fin, l’auteur s’interroge sur la figure de Jésus et de Jacques comme grands prêtres. Jacques, en effet, est traditionnellement réputé avoir eu accès au Sanctuaire du Temple ; il était habillé de lin fin et était un observant scrupuleux de la Loi, ce en quoi il bénéficiait d’une aura particulière à Jérusalem. C’est ainsi qu’après son martyre, on l’a qualifié de « juste ». Comment peut-il se faire que Jacques soit de clan sacerdotal, alors qu’il est réputé être de filiation davidique, comme Jésus, en tant que « fils de Marie, frère de Jésus » ? Voilà la vraie question que se pose Simon-Claude Mimouni. Et du coup, quelle est l’origine du culte nouveau du Seigneur en christianisme ? Si Jésus est de clan davidique (Marie et Joseph), alors Jacques l’est également : comment peut-il être prêtre ? Il s’agit alors d’un sacerdoce « théologique », symbolique? Ou bien Marie était aussi de clan sacerdotal… ? Évidemment l’auteur s’interdit d’envisager que, peut-être, Jacques ne pourrait peut-être pas être le « frère de Jésus » ? La chose est évidemment compliquée et finalement, Simon-Claude Mimouni semble caler devant la difficulté.